Chemins

Une petite route,
Un chemin goudronné de frais,
Un soleil de plomb,
Une forte odeur d’asphalte et de tournesols murs.
Elle est toute blanche, ils ont dit, « trop cher le goudron, on a mis plus de gravier ! »
L’été, la route est d’argent.

Pour aller du village à la ferme il faut compter trois ou quatre kilomètres par la traverse.
A pied c’est trop long ! J’y vais sur ma Captivante rouge, à fond !

La seule côte c’est celle qui remonte au village, pour le reste c’est tout plat ou presque.

D’abord, il faut passer devant les deux platanes plantés par les révolutionnaires. Ils n’arrêtent pas d’étendre leurs ombres.
Puis c’est le long chemin par la plaine, les croisements, les petits ponts, les arbres de chaque côté, les fermes à vaches, à trayeuses de lait, à chiens aboyeurs, déchiqueteurs de jupes et rongeurs de pneus.
Je suis libre, à chaque tour de pédale je grandis, je fais la course avec les peupliers, je regarde passer les arbres au loin. Essoufflée, j’avale tous les nuages et tous les moucherons.

Je ris.

 

Le chemin laisse place aux arbres, les arbres au chemin.
Longtemps j’entends la cadence de mes deux roues et le vent marin dans mes tempes.
Le vent ! Il me renvoie en pleine face l’odeur de la ferme à cochons et m’empêche de pédaler.
Le vent sous ma jupe, le vent dans les rayons du soleil, le vent qui soulève, qui écrase…
Longtemps j’entends sa musique fracasser l’humeur des gens, je pédale contre et avec le vent.

Puis c’est la nationale, il faut faire attention ! A droite, puis à gauche, à gauche puis à droite, une main sur le frein, le pied sur la pédale puis enfin à gauche après la voiture, et passer de l’autre côté. Couper la nationale, vite, en regardant mille fois si je peux passer.

Et là, c’est là ! Je suis arrivée. C’est là qu’il y a la maison, c’est là qu’il y a les vieux.
Tout est vieux là-bas, mais j’y ai ma cabane…

J’y vais tous les jeudis quand il n’y a pas d’école, je n’ai peur que des rongeurs d’os et des gueules de loups…

J’y vais seule, j’ai huit ans, j’ai neuf ans, j’ai dix ans.
Il fallait que j’y aille, on m’y attendait, on me connaissait…

Plus tard j’irai avec mon vélo vert aux marguerites…